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(Guy Chevalier)
Vie et oeuvre de Jan Brito Actions
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De Bretagne en Flandres par
Jean-François Gautier
 pour Kistinenn























BRULELOU=BRITO?

Pieter Obbema (1930-2015) fut conservateur des manuscrits occidentaux à la Bibliothèque Universitaire de Leyde (Hollande). En 1980, paraît une étude intitulée   « Johannes Brito alias Brulelou », dans laquelle il établit que Brulelou est la véritable identité de Brito.

Sa démonstration se base sur une analyse minutieuse d'un manuscrit (BPL 138) que possède la Bibliothèque Universitairede Leyde. Il s'agit d'un livre de cent soixante-sept feuillets, recouvert d'un parchemin rigide (« cornu » disent les Hollandais), écrit à la main en cursive française et contenant trois œuvres en latin : les Disticha Catonis (Caton 234-149 avant Jésus-Christ), l’Ecloga de Theodolus et Les remèdes à l’amour d’Ovide (43 avant Jésus-Christ-18 après Jésus-Christ). Au xve siècle, ces textes font partie du bagage de tout étudiant.

Intérêt majeur de ce manuscrit : il est daté, localisé et signé à deux reprises.

manuscrit de Jan Brito Université de leyde

© Leiden Universiteitsbibliotheek

À la fin du livre Les remèdes à l'amour, on peut traduire ainsi :« Écrit en la paroisse de Saint-Séglin, diocèse de Saint-Malo, par moi, Jean Brulelou, du diocèse de Saint-Malo, et achevé le dix-huitième jour du mois de septembre de l'an du Seigneur mille quatre cent trente-sept ».

Jean Brulelou, verum est.

Ce 18 septembre 1437, un certain Jean Brulelou mettait un point final à son manuscrit à Saint-Séglin, commune limitrophe de Pipriac. Il se définit comme étant « du diocèse de Saint-Malo ». Cette référence a une structure non pas géographique mais ecclésiastique et reprend les informations qu'il a données à la page précédente.

 Manuscrit de Jan Brito Université de leyde

© Leiden Universiteitsbibliotheek

C'est-à-dire : « Ce livre appartient à Jean Brulelou, clerc du diocèse de Saint-Malo, lequel Jean a écrit de sa propre main le présent livre ». Même s’il n'est pas bien corrigé, l'auteur se console en se disant que bien agir en toutes circonstances sans jamais faire d'erreur relève davantage de Dieu que de l'homme. Et, d'autre part, dans toute chose bien faite, c'est la divinité suprême qui est à l'œuvre.

Tout à vous : Jean B. de Priperac, verum est. »

Ce texte apporte davantage de précisions sur l'auteur. Jean Brulelou est clerc. Il appartient au diocèse de Saint-Malo dont font partie les paroisses voisines de Pipriac et de Saint-Séglin. Ses commentaires portent l'empreinte d'une culture religieuse évidente. Brulelou est également copiste. Avec insistance, il s'attribue ce manuscrit « écrit de sa propre main ». Il se réfère aussi à un usage de l'époque : son livre n'est pas exempt de fautes, ce qui confirme indirectement ses talents de copiste.

Sa signature est claire : Jean Brulelou de Priperac, alias Pipriac. Même lieu de naissance que Brito... Simple coïncidence ? Il existe d'autres points communs entre Brulelou et Brito. Ainsi :
    - Ce manuscrit de Leyde vient de Bruges où il faisait partie de la bibliothèque de Franciscus Nansius. Or, Brito vécut à Bruges.
    - Sur les trois livres copiés par Brulelou, deux seront imprimés par Brito à Bruges : le Theodolus et le Caton.
    - Sur l'une des pages du manuscrit, on a rajouté plus tard, mais de la même écriture, ces lignes :

Manuscrit de Jan Brito Université de Leyde

© Leiden Universiteitsbibliotheek

« Le nombre des vers du chatonnet en latin 304
« Le nombre des vers du dit chatonnet en franchois 608
« Monte en tout 912
« À faire huit colombes de 912 ce seroit pour chaque colombe 114 justement. »

Ces notes, utilisant le jargon des imprimeurs, ont servi à calculer la quantité de papier nécessaire à l'impression de deux-cents exemplaires des Disticha Catonis en latin-français.

Brulelou en a copié le texte latin dans son manuscrit. Brito l'a bien plus tard imprimé à Bruges. Il en a même fait deux versions bilingues : l'une en latin-français (le texte cité est relatif à cette édition), l'autre en latin-flamand.  Les coïncidences entre Brulelou et Brito sont trop nombreuses pour n'être que des coïncidences.

On peut donc raisonnablement suivre Pieter Obbema

dans ses conclusions : BRULELOU = BRITO.

LES ANNÉESDE FORMATION

Le manuscrit de Leyde permet de dater approximativement la naissance de Brito. Si Brulelou est clerc en 1437, cela implique qu'il a au minimum une quinzaine d'années. Il est donc né avant 1422. Étant donné la maturité intellectuelle exigée pour la copie d'un tel manuscrit, la qualité de la calligraphie, le temps nécessaire à ce travail, Brulelou devait avoir une vingtaine d'années en 1437. Il serait donc né vers 1417, plus certainement entre 1415 et 1420.

Brulelou est clerc : il a donc reçu une éducation religieuse et appris le latin, alors langue du culte et de la culture. Au xve siècle, il n'existe pas de séminaire dans le diocèse de Saint-Malo ni en Bretagne. Sa formation intellectuelle et religieuse, Brulelou a pu la recevoir auprès d'un prêtre des environs, à Saint-Malo ou même à Paris.

Au sens strict, le clerc est celui qui a reçu les ordres mineurs, le tonsuré, qui déjà fait partie du monde ecclésiastique sans toutefois avoir rompu avec le monde des laïcs. « Tout un peuple de tonsurés, dont la condition demeurait mal définie, formait aux confins des deux ordres une marge de couleur indécise », écrit M. Bloch. Situation privilégiée dont certains profitent sans vergogne. À l'époque, la cléricature peut constituer la voie royale de l'ascension sociale. À condition, bien sûr, d'en sortir.

Au cours de sa jeunesse, Brulelou a étudié la calligraphie, l'art de l'écriture manuscrite. À cinq cents mètres du village de la Ville-aux-Greniers, sur un axe routier important, se tenait le manoir du Frégon. De cette époque subsiste au moins un très beau linteau en pierre verte sur laquelle est sculptée une hermine de forme primitive. Ce manoir appartenait aux seigneurs de Bossac, famille alors importante en Bretagne. C'est là, dit-on, que les actes de la famille de Bossac étaient tenus. Peut-être la mère de Brulelou/Brito préparait-elle de l'encre pour les scribes de ce manoir? Peut-être Brulelou y a-t-il travaillé ou du moins appris la calligraphie?

De 1437 à 1446 : le virage

Après 1437, on perd sa trace jusqu'en 1446 où on pense la retrouver à Tournai. Que s'est-il passé pendant cette période? On en est réduit aux hypothèses en l'absence de tout document. Une certitude cependant : un changement important intervient dans la vie de Brito. Il va quitter la Bretagne. Il va aussi quitter la voie ecclésiastique, vraisemblablement pour se consacrer à l'écrit.

A-t-il été contraint, à la suite d'une sombre affaire, de quitter son pays? A-t-il senti que la situation politique en Bretagne allait s'assombrir? A-t-il voulu changer de vie, tenter sa chance ailleurs? A-t-il suivi quelqu'un? Pour l'instant, les causes de son départ nous sont totalement inconnues.

Contrairement à ce qu'on peut imaginer, les voyages ne sont pas rares au xve siècle. Les artistes sillonnent l'Europe, passant d'une cour à l'autre. Les autres aussi se déplacent pour fuir, pour travailler, pour se rendre à un pèlerinage. Par exemple, cet Étienne Pillet, originaire lui aussi du diocèse de Saint-Malo : après ses études de théologie à Paris, il prêchera notamment à Metz et à Mayence. Sa fougue lui valut le surnom de Brulefer.

Un Breton qui va en Flandre à cette époque, cela n'a rien d'exceptionnel. Le trajet se fait régulièrement, par terre ou par mer. « La marine commerciale bretonne ... devient l'un des éléments majeurs du commerce nord-sud de l'Europe de l'Ouest ». La France voit d'ailleurs d'un mauvais œil cette activité maritime qui s'exerce à son détriment. Les relations commerciales entre Bretagne et Flandre sont relativement intenses. Témoin l'activité de ce marchand de Vitré : « André Bernardin, membre de la Confrérie de l'Annonciation, est l'un des plus riches marchands de Vitré. Il se rend quatre fois par an en Flandres : aux foires de Bruges, de Bergues et d'Anvers où il vend des cargaisons entières de « quenevez », ces canevas qu'on fabrique à Vitré, Noyal, Tinténiac et Bécherel. Ses confrères et lui en retirent des bénéfices plus qu'appréciables... En 1473, les marchands vitréens rapportent des Flandres un tableau signé Jean Capman, des tapisseries, de la soie verte, des vitraux ».

Par terre ou par mer, Brulelou quitte la Bretagne. Il n'y reviendra sans doute plus.

 

TOURNAI : JEHAN LE BRETON

En 1446, habite à Tournai un certain Jean Le Breton que les spécialistes identifient à Brito. Deux documents au moins les y autorisent.

Le 27 août 1446, « Maistre Jehan Le Borton, maistre de la Escripture, Tournai » gagne un lot à la Loterie de Bruges. Il avait le numéro 397.

© Archives Municipales de Bruges

Deux ans plus tard, le 28 juin 1448, un certain Périnet de La Marche, natif de Rouen, teinturier sur soie à Tournai, signe une reconnaissance de dette envers un «Jehan Le Borton, escripvans, né de Bretaigne». Il lui devait 3,25 saluts d'or. Ce document des Archives de Tournai fut détruit lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Il est cependant attesté dans plusieurs ouvrages antérieurs.

Même nom, même profession : il s'agirait dans ces deux textes de la même personne. Tout porte à croire qu'il s'agit en fait de Brito : comme lui, ce Jehan Le Breton travaille dans la calligraphie, comme lui il vient de Bretagne. Et Tournai ne se trouve qu'à quatre vingt kilomètres de Bruges où vivra Brito.

Notons qu'il a changé d'identité. Changer de nom en changeant de pays, sans oublier ses origines, est un phénomène courant : on trouve bien des Langlais, des Lallemand et même des Lebreton... en Bretagne. Désormais, son nom (où plutôt son surnom) marquera sa provenance : Le Breton, Bortoen et Brito signifient « originaire de Bretagne ».

Le registre des Loteries de Bruges présente Brito d'une façon redondante en lui attribuant par deux fois le titre de Maître en une seule ligne.

« Maistre Jehan Le Borton» : le titre semble inséparable du nom et témoigne d'une considération évidente envers l'homme qui le porte.

« Maistre de la escripture» : l'énoncé de la profession est beaucoup plus précis que dans la reconnaissance de dette (escripvans). Il implique une qualification poussée dans le domaine de la calligraphie. Le Breton n'est pas un apprenti, mais un copiste professionnel, un maître-calligraphe. Brulelou s'est donc installé comme calligraphe à Tournai, centre intellectuel et artistique important que l'histoire a situé tantôt en France, tantôt en Flandre. Un peu plus au nord se trouve la capitale, Bruges. Jehan Le Breton s'y est déjà rendu en 1446. Il aura l'occasion d'y retourner et d'y résider longtemps.


Bruges au XV siècle


Jan Brulelou de Pipriac
=Jan Brito=Jan Le Breton


Jan Bortoen


Colophon


Sa pierre tombale


Son portrait



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© association «Maison Jan-Brito» Pipriac, Ille et Vilaine, Bretagne.